Une petite maison de pierre entourée de champs. Passent des soldats lourdement équipés et armés.
Sort le Laboureur. Il attend quelques instants. Apparaît Électre.
LE LABOUREUR :
Je suis un homme et moins qu’un homme.
Jamais je n’ai porté ni le glaive à double
tranchant, ni la cuirasse de plomb, ni le
casque au cimier de feu.
ELECTRE (Simultanément) :
Il me suffit que tu m’accueilles. Je ne cherche
qu’à trouver refuge dans l’ombre de ta cassine.
LE LABOUREUR :
Des soldats passent, foulent au pied mes maigres
semences, emportent mes maigres poules, crachent
dans mon puits…
ELECTRE (simultanément) :
Je te dédommagerai en pièces sonnantes
et trébuchantes.
LE LABOUREUR :
Je ne connais que trop la tragédie d’Électre –
à la beauté consumée dans la force de
l’âge – à attendre le retour d’Oreste -
et moi je te regarde – mon coeur se soulève
à la vue de ton ombre – dans le blanc de la
porte – ouverte – tu es le lion de Némée,
par toi passent le frémissement de l’air,
l’angoisse de la nature – mon coeur se
soulève – tu es la lame effilée – tu
me traverses – tu es le lion de Némée,
et les murs de ma cassine ne te cachent
plus – mais qui peut te reconnaître – aujourd’hui –
tu es Électre et tu es la tragédie
d’Électre – les soldats passent – foulent au pied
mes maigres semences – et voici que tu
RIS en me voyant dans la réalité des
choses – dans cet espace enclos – tu me crois
pur – car hors d’atteinte de ta folie – qui suis-je
pour révéler la nature du don que je
fis à Électre – car je n’avais vécu jusque
là que pour t’accueillir. Je te connais, toi
dont je ne devrais pas connaître le nom. Je
t’accueille, non sans désir, car tu es Électre.
ÉLECTRE :
Entends-tu ?
LE LABOUREUR :
Des rôdeurs, des pillards… Des assassins, des soldats
perdus.
ÉLECTRE :
Tu peux me regarder. Oui, tu pourrais me
vendre aux plus offrants. Ils passeraient sur mon
corps. Ils en seraient apaisés. Ils ne cracheraient
plus dans ton puits. Et tu pourrais racheter
tes poules.
