Voici que nous sommes dans un théâtre d’ombres

L1000194

LE CORYPHEE :
Voici que nous sommes dans un théâtre
d’ombres. Nous vivons ici sur les cendres
éteintes des sacrifices. Nous n’avons gardé
sur les doigts que l’amertume des nuits
d’amour. Les forces vives ont déserté…
Triste Clytemnestre, voici que tu
montres tes bras nus, dévoilant les os et
les veinures. Tu vas, tu viens, telle une
danseuse affolée, te cognant aux chaises,
aux tables, aux portes, ton corps meurtri de
blessures noires, flétri, délaissé. Tu es
là, tu te tiens devant moi, la bouche
ouverte, ta langue frôlant mes lèvres. Je
connais l’histoire, mille fois répétée.
A l’origine, un litige, une
broutille, tout un peuple prêt à en découdre
par ennui… Je ne vais pas vous faire un dessin.
L’honneur, la virilité, l’impérieuse
nécessité, FOUTAISES. Je ne connais que
la brutalité, les corps démembrés, le bruit
assourdissant, le sang, la mort. Porter la guerre
au loin, et le chaos en son foyer. Nous
voici dans la maison de Clytemnestre.
Entre ces murs, des ombres grises, des claquements
de dentiers. Cela sent la naphtaline,
le linge humide et la lente pourriture.
Mais voici qu’apparaît Clytemnestre pour nous
annoncer l’imprévisible.

LE CHOEUR, parlant pour Clytemnestre :
Je t’annonce, ici, que la guerre est finie.
L’ennemi est vaincu. Cette nuit, j’ai vu
la flamme très clairement qui annonce son retour.
Le triomphe est total. Il ne pouvait en
être autrement.

CLYTEMNESTRE :
Le ciel est assombri de corbeaux…

LE CHOEUR/CLYTEMNESTRE :
Je vois cette nuit de carnage. Je le
vois, le sang de ses ennemis couvert, las
et sans joie, et je crois entendre
comme un sanglot. Je le vois, indifférent
et terrifié, sourd à l’effroyable
agitation, les corps qu’on dénude, les
chairs qu’on tranche comme chez le boucher.

CLYTEMNESTRE :
Mais le triomphe…

LE CHOEUR/CLYTEMNESTRE :
Le triomphe est total. Il ne pouvait en
être autrement. Ils sont partis plus de
100 000. Et je les vois là, éparpillés,
à peine quelques centaines, traînant derrière
eux le glaive trop lourd, débarrassés du
bouclier et de l’armure, le casque depuis
longtemps perdu.

CLYTEMNESTRE :
Ils ont mangé leurs cheveux et bu leurs larmes.

On me dit : la ville lointaine est prise, sois heureuse.

On me dit : annonce ce que tu n’as pas vu, ce grand incendie.